C’est quoi Blind Spot ? C’est un light novel que j’ai écrit et illustré par la talentueuse Saeko Doyle. Voilà, maintenant je vous invite à lire ce billet où j’annonce la sortie du livre aussi.
Ce billet aurait pu se trouver à la fin du tome 3, mais comme il allait de toutes façons être long, je me suis dit que sur mon blog ça aurait été aussi bien (et mon éditrice était de cet avis.)
Si vous n’avez pas encore lu Blind Spot en entier, cet article pourra potentiellement vous spoiler pas mal. C’est pour ça qu’il a été prévu pour aujourd’hui : pour que ça vous laisse le temps de lire le tome 3 sorti ce mois-ci.
Le commencement
En fait, ça, vous le savez à peu près tous si vous me suivez : j’ai déjà dit par le passé que BS était né d’une simple interrogation : comment font les malvoyants comme moi au Japon ? Il m’a fallu observer (je sais, un comble) tous ces gens, prendre note des endroits où il y avait un guidage sonore ou au sol, et globalement être attentif. Une fois l’idée plantée dans ma tête, difficile de s’en défaire : je n’étais même pas encore retourné en France que j’avais déjà envie d’écrire, en témoignent mes longues discussions en ligne à l’époque dans un cybercafé du quartier d’Asakusa à Tokyo.
C’était mieux à vent.
Cette envie d’écrire, de se faire plaisir, d’inventer et de construire une histoire, je l’ai depuis le collège. J’ai écrit pas mal de fanfictions, parfois avec des amis, parfois seul. Des trucs super honteux sur Sailor Moon (quand on est adolescent, on est con, c’est une loi intemporelle), des trucs pas tellement mieux sur Evangelion, et puis un jour, lorsque j’ai eu le net, je me suis mis à écrire quelque chose d’un peu plus réfléchi sur Eva. Je dis « un peu plus » parce que maintenant, je regarde ça avec une pointe de nostalgie et de honte non dissimulée, comme quand un dessinateur compare ce qu’il faisait il y a 15 ans et ce qu’il fait maintenant.
J’ai embrayé sur d’autres fanfictions, il faut dire qu’à cette époque l’otakusphère se retrouvait par mails et site webs interposés, ainsi que sur les newsgroups. Les français étaient peu nombreux à vraiment profiter d’Internet comme aujourd’hui, et j’avais trouvé mon bonheur dans les cercles anglophones. C’est quelque chose qui me fait un peu sourire et tiquer à la fois quand je vois des gens en 2014 se tourner vers des communautés internationales alors qu’on a bien souvent tout ce qu’il faut maintenant en francophonie pour partager nos passions. Mais c’est un autre débat, ça.
Toujours est-il que la fanfic-sphere était petite mais très soudée. On lisait mutuellement nos travaux, on échangeait nos idées d’histoires, on faisait de la prélecture, du « retooling » (retravailler un texte), et c’était très marrant. J’ai rencontré des tas de gens formidables que j’ai malheureusement perdu de vue aujourd’hui. Des amours aussi, qui ont été des echecs cuisants, mais qui m’ont aussi donné des ailes (avant de me les hacher menu).
A une époque où peu d’animés étaient disponibles en occident, Evangelion était THE BIG THING en 98-2000. Puis, avec l’avènement du fansub, ça a été une avalanche de titres qui ont été disponibles, si bien que la communauté s’est dispersée. Même votre serviteur a activement participé à une équipe de fansub française à l’époque, c’est vous dire. J’ai écrit une fanfiction Love Hina que je n’ai jamais terminée (encore heureux hurleront certains). J’ai même eu une super idée de fanfic pour Mahoromatic que je n’ai jamais non plus menée à bien. Je sentais simplement que la communauté n’était plus au rendez-vous, et la montée en puissance de Fanfiction.net annonça l’ère industrielle de la fanfic. N’importe qui pouvait en chier et il n’y avait plus de contrôle qualité qui s’opérait grâce aux fanfic archives tenues par des gens comme moi et d’autres sur leurs sites personnels, qui repoussaient les gens qui ne savaient de toute évidence pas écrire. C’était un boulot ingrât mais ça permettait de faire une selection, et les visiteurs étaient là pour ça, pour lire des fanfictions selectionnées par le webmaster du site.
C’est pour ça que j’ai lâché l’affaire et n’ai rien fait de bien folichon avant 2005, où les blogs sont arrivés à la portée de tous. Aujourd’hui un blog c’est presqu’has been avec Twitter et Facebook, ou pire encore Tumblr (j’avoue ne pas vraiment capter l’essence même de Tumblr, je dois pas être le public visé je pense.) mais à l’époque, c’était un espace à soi, qu’on décorait à l’envie, pour se démarquer, et sur lequel on écrivait ce qui nous passait par la tête.
Le processus de création
Je dévie un peu de la trajectoire, mais tout ça pour dire que Blind Spot est arrivé à un moment dans ma tête où j’en avais bien besoin. Notamment aussi parce que c’était l’occasion de m’inventer un monde et un univers à moi. Quand on écrit une fanfic, on est toujours cantonné à des personnages qu’on a pas crée et sur lesquels on doit s’adapter, sans compter qu’il y a aussi la chronologie à respecter. Le but d’une fanfiction reste bien sûr de faire une histoire empruntant un univers, mais selon les goûts de l’auteur, ce dernier se tiendra au plus près ou pas des personnages déjà établis et de la chronologie officielle. Il est parfois bien entendu nécessaire de s’en éloigner (sinon ça ne serait pas marrant) mais ça reste une contrainte.
Et moi, je n’aime pas les contraintes, en fait.
J’ai découvert, en écrivant Blind Spot, que cela était bien plus amusant de créer des personnages, un univers et des évènements propres. En construisant un personnage, on se l’imagine, cela décuple l’attachement qu’on y apporte. Si je devais relier Ayako à moi-même, je dirais que c’est la fille que je n’ai jamais eue (et que je n’aurai probablement jamais :p). Et cela allait finalement pour tous les autres personnages que je pouvais modeler à l’envie. Un personnage pétillant, limite genki ? Shizuka ! Une grande soeur un peu trop protectrice et fiable ? Karen ! Ajoutons-lui une ponytail, tiens ! Oh et puis elle va faire du sport, ça va constraster avec Ayako qui n’en fait pas. Et puis Shizuka sera dans une autre école histoire que ça ne soit pas trop cliché quand même…
…vous voyez un peu le tableau. Toutes ces idées n’ont pas été pensées d’une traite : il s’est écoulé des jours, des semaines même pour que ça murisse, pour que les personnages aient un nom. Ayako, c’est facile, mais Karen Sakazaki d’où ça vient ? Karen parce que c’est un nom que j’aime bien, et le Sakazaki est une référence directe à la famille Sakazaki de la série de jeux de baston Art of Fighting/King of Fighters. C’est aussi de cette famille que vient le « zaki » de Terizaki, hééé oui ! Quant à Shizuka Makihara ? Si son caractère et l’idée du personnage était clairement inspiré de ma meilleure amie Rosalys, difficile à me souvenir avec exactitude du pourquoi du nom. Le Makihara est arrivé après coup, mais Shizuka a bondi un peu tout seul dans mon esprit.
J’avais un trio de personnages, le plus dur était fait. Enfin pas tout à fait : j’ai dû leur créer une famille, une situation bien particulière pour qu’elles ne soient pas des coquilles vides. Je ne voulais pas que l’histoire soit centrée sur Ayako. Que tout tourne autour d’elle oui : c’est l’héroïne, mais qu’autour d’elle, des évènements soient déclenchés dont elle n’est pas la maîtresse, et auxquels elle doit s’adapter. Les soucis de Shizuka et de ses parents, son cousin…
Parlons famille tiens. Miyuki, sa soeur, est une référence un peu plus personnelle. Un pot-pourri de mon grand frère et de ma grande soeur, avec qui je ne m’entendais pas forcément très bien étant plus jeune (je vous rassure, ça a beaucoup évolué en bien depuis), la faute à dix ans d’écart qui changent tout. J’avais décidé de rendre l’écart d’âge moins grand pour que les interactions entre les deux soeurs puissent se faire, même s’il y avait quand même conflit. Dans le même ordre d’idée, Aoi la cousine d’Ayako et son frère Kenji, sont tous deux inspirés de cousins et cousines très proches dans mon enfance (malheureusement moins maintenant, la faute à des chemins pris différents et l’éloignement géographique). La décision de « tuer » un personnage est toujours très délicate, mais si c’est arrivé à Kenji, c’est avant tout parce que la mort de mon propre cousin, justement lorsque Blind Spot a été crée, m’a affecté bien plus que je ne l’imaginais. J’ai un rapport assez détaché et fataliste vis à vis de la mort : pour moi cela doit arriver à un moment ou un autre et y être préparé, en tous cas à la mort d’autrui, c’est aussi faire preuve d’une certain respect. Je ne vais pas philosopher là-dessus 107 ans, et on me prendra peut-être pour un monstre, mais j’ai envie de dire « la vie continue » et c’est ce que j’ai voulu faire dire à Ayako. Mon handicap me pousse à profiter de l’instant présent, et faire un deuil, surtout exaggérément long, ce n’est pas vivre dans le présent. C’est vivre dans le passé et vivre dans le passé, c’est s’interdire tout futur. On oublie pas les morts, mais leur disparition ne doit pas être vaine. Elle doit servir à quelque chose. J’imagine que la famille directe concernée va m’en vouloir à fond pour ce qu’ils auront lu, car ils y auront sûrement reconnu mon cousin disparu le jour de mon départ pour le Japon. Comme Ayako, j’avais été prévenu uniquement trois semaines plus tard, à mon retour. Mes parents avaient décidé de ne pas m’en parler pour ne pas gâcher mes vacances. Et ça m’avait beaucoup touché. C’est pour ça aussi que ça se retrouve dans ce que j’ai écrit.
Abordons des sujets plus joyeux : le doublage.
Très tôt dans l’histoire il m’est apparu nécessaire qu’Ayako ait un objectif à accomplir. Une sorte de fil rouge. Mais comme tout fil rouge, celui-ci n’est pas forcément celui qu’on croit au début, et surtout, il ne se dévoile pas forcément dés le début de l’aventure. J’avais déjà prévu un certain nombre de chapitres, et déjà prévu une feuille de route avec les principaux éléments qui devaient figurer dans chaque chapitre, avec surtout un indicateur temporel. Ah le temps ! Un élément avec lequel j’aime beaucoup jouer, comme en témoigne ma première fanfic sérieuse où Asuka, de Evangelion, tombait enceinte et où le concept était simplement d’avoir un chapitre par « mois » de grossesse. Dans Blind Spot, point de cela, mais une volonté tout de même d’inscrire les personnages dans une évolution à travers le temps. L’absence de ce genre d’évolution est quelque chose que je déteste dans les histoires, où on a aucun repère et où on a du mal à situer quand les évènements se passent. Une chronologie, pour moi, est primordiale et doit être rappellée au lecteur d’une façon ou d’une autre au cours du récit afin que ce dernier replace les évènements dans l’espace et le temps. C’est aussi pour ça que je n’aime pas les flashbacks et autres jouets temporels. A moins que cela ne soit utilisé avec parcimonie et dans un but bien précis, ça ne sert en général à rien de faire un flashback juste pour le fun. Des séries où les personnages ne grandissent pas malgré les années qui semblent s’écouler (Pokémon par exemple) ont tendance à m’exaspérer et à me faire lâcher prise au bout d’un moment. C’est aussi pour cela que j’ai du mal à avaler trop de « gag manga » d’un coup comme Keroro, ou en occident Les Simpson ou South Park, par exemple. Il n’y a d’ailleurs qu’un seul flashback dans Blind Spot, qui n’est là que pour rappeler au lecteur qu’Ayako et Shizuka se connaissent depuis en fait super longtemps.
Je voulais donc qu’Ayako grandisse, devienne une jeune adulte, puis une jeune femme.
Le hiatus Brigade
La coupure qui s’est opérée entre 2007-2008 et 2012 a gravement ralenti mon rythme : j’ai fondé le site Haruhi.fr avec d’autres personnes, dédié à l’anime La Mélancolie de Haruhi Suzumiya. Depuis, ça a muté en association loi 1901, qui m’a effectivement pris tout mon temps. On dit souvent que le président est celui qui se tourne le plus les pouces, mais c’est archi faux. En 2010 (ou 11 je sais plus) j’ai essayé de faire un break et de partir en vacances 3 mois de la Brigade, ça a moyennement marché mais ça m’avait permis de finir le chapitre 8 de Blind Spot, entamé depuis des années. J’avais ensuite posé les bases du chapitre 9 sans avoir pu l’écrire. Et puis malgré la passassion de pouvoir à Jaerdoster en 2012, j’avais quand même un pied encore dedans. Mais Rosalys est venue à moi et m’a proposé d’éditer Blind Spot via sa jeune maison d’édition associative Univers Partagés. Rosalys s’occupe de presque tout, et sur Blind Spot, elle a fourni des efforts surhumains qui encore aujourd’hui me laissent sans voix. Cette « one-woman army » comme j’aime l’appeler dans ma tête, c’est grâce à elle que vous avez pu tenir des tomes de Blind Spot physiques entre vos mains. Sans elle, je n’aurais peut-être jamais fini l’histoire. C’est aussi elle qui m’a foutu un gros coup de pied aux fesses en me donnant une deadline bien précise pour relire et retravailler Blind Spot. Car il y avait du boulot ! Donc, merci Rosalys. Encore une fois, merci.
Blind Spot a été publié sur le net depuis 2006 mais il ne m’a pas été trop difficile d’exterminer la majeure partie des versions. Ce que tu donnes à Internet, Internet ne te le rend jamais, je le sais très bien, mais ce n’est pas plus mal que des traces persistent : depuis, le texte a suffisament été retravaillé et modifié pour qu’on ait l’impression de lire autre chose. D’abord publié en anglais, Blind Spot a été (mal) traduit en Français par mes soins. Il a fallu donc réécrire pas mal de passages, relire, relire et encore relire. Et même avec tout ça, avec l’aide de QCTX et Mop notamment, vous trouverez encore des coquilles ici et là. Désolé. Même s’il est facile de blamer les correcteurs pour les fautes qui sont passées au travers du filet, il ne faut pas oublier que si elles sont là, c’est parce que l’auteur les as faites en premier lieu.
Ce n’est donc que fin 2012 que je reprends la plume : je décide d’arrêter d’écrire sur Meido-Rando. Blackout presque complet sur le blog pour me concentrer sur l’histoire, la terminer et surtout faire des recherches. A l’époque, j’avais transposé le temps dans Blind Spot par rapport au nôtre. A savoir, si j’écrivais un chapitre en février 2007, alors Ayako vivait son aventure à la même époque. Cela me permettait également de rester au plus près de l’actualité et des références culturelles. Quand Ayako cherche un tome d’un roman dans une librairie, j’ai cherché quand était sorti le tome en question pour que ça colle. Quand elle chantonne une chanson, je me suis assuré que la chanson était bien sortie à cette époque et si elle était encore populaire. C’était facile tant que je collais le temps présent, mais avec un aussi grand hiatus, j’ai dû pousser mes recherches plus loin. Quels animes faisaient la une en 2010 ? Où serait Ayako au moment du terrible tsunami du 11 Mars 2011 ? Est-ce que la ligne de métro qu’elle emprunte pour aller au boulot existait en 2009 ? Quel trajet prendre pour se rendre à Hokkaido ? Est-ce que c’est un bon choix pour passer des vacances ? Qu’est-ce qu’on trouve dans un hôtel japonais ? Combien coûte un roman ? Quel est l’argent de poche type d’une lycéenne qui ne se prostitue pas ? Est-ce que… bref, vous avez compris. C’était un peu se prendre la tête pour rien, mais malgré ses excentricités, l’univers de Blind Spot devait au maximum coller au nôtre, afin de renforcer l’attachement du lecteur vis à vis d’Ayako. Quand on joue trop dans le fantastique, quand on essaye trop de se démarquer, chaque petit détail oublié renforce dans la tête du lecteur l’idée que cela se passe ailleurs, dans un endroit lointain, hors de portée, et au final, on se retrouve déconnecté des personnages, ce qui n’est pas forcément bon pour l’immersion. Ayako aurait pu être une camarade de classe, ou une collègue de travail pour vous, et c’est ce que j’ai voulu faire ressentir.
Bon, elle est japonaise, ce qui n’aide pas pour le public français, mais vous avez compris ce que j’ai voulu dire, hein ?
L’important était avant tout que chacun puisse imaginer la scene se déroulant sous ses yeux, comme si elle était tout droit sortie d’un anime. Ce que fait, finalement, tout bon light novel japonais qui se respecte. Et si vous aussi ça vous arrive de vous imaginer une scène que j’ai écrite comem sortant d’un anime, alors c’est que j’ai réussi mon objectif.
Les idées qui n’ont pas fini dans le bouquin
Il y en a plein ! Ah, par quoi commencer ? D’abord il faut bien savoir que certaines idées vont vous sembler totalement idiotes et hors de propos : c’est normal, c’est précisément pour ça qu’elles ne sont pas dans l’oeuvre finale ! Malin, hein? 🙂
- Au début, Sho Ogata devait être un vilain séducteur. Il devait y avoir une scène de presque viol d’Ayako où elle se fait sauver par Miyuki, mais au final j’ai vite jeté l’idée dans une corbeille tout au fond d’un trou noir parce que ça collait absolument pas à l’atmosphère de l’histoire au fur et à mesure que je l’écrivais.
- Karen devait être lesbienne. Je sais, il y a encore des indices parsemés ici et là dans le texte avec son attachement à Ayako, mais de la même façon, cette idée, vraiment trop fanservice, a été écartée à mi-chemin dans l’histoire. Trop fanservice, parce que c’était tout simplement « pas nécessaire ». Si encore j’avais pu trouver une justification, un intêret scénaristique, alors oui, mais là non, ce n’était ni ma priorité, ni mon envie de jouer cette carte. Le pire, c’est que j’ai laissé tellement de possibilités de faire du shipping Shizuka x Ayako derrière pour compenser, je m’en veux presque.
- Toujours Karen, devait avoir une très bonne raison de protéger Ayako : elle devait avoir été témoin d’un accident, au collège, avec un homme aveugle qui se serait pris un accident de la route dans le genou. Son énigmatique « tu comprendras un jour » dans le chapitre 1 est d’ailleurs resté, à mon grand désarroi, car maintenant il n’a plus aucun sens vu que cette idée a été zappée. L’accident d’Ayako dans le chapitre 11 devait être un trauma supplémentaire pour la pauvre Karen mais avec Ayako dans le pétrin et Karen comme ça, Shizuka aurait eu bien du mal à recoller les morceaux de tout ce petit monde.
- Shizuka n’était initalement pas un personnage aussi important que ça. Amie d’enfance d’Ayako, elle s’efface devant Karen au début de l’histoire, pour revenir en full force dés le chapitre 8. Elle devait passer la flamme d’Ayako à Karen au lycée, sans la lui reprendre. Au final c’est Karen qui se retrouve un peu effacée sur la fin, mais j’ai quand même réussi à lui garder une petite place au chaud.
- Miho aurait dû rester plus longtemps, mais j’avais réellement du mal à l’écrire. Les tsuntsun pestes blondasses c’est vraiment pas mon truc. Ayako devait avoir une sorte de rivale pour qu’il y ait un semblant de dynamisme, mais de mon aveu, c’était un joli echec que j’ai tenté de rattraper ensuite.
- Miho était inspirée au début de Takako, la tsundere de Otome wa boku ni koishiteru. Si vous avez fait la connexion en lisant Blind Spot, bravo, vous êtes aussi fichus que moi. (il y en a une, quelque part, mais je vais vous laisser la chercher. Indice, c’est dans le chapitre 7.)
- Le voyage du chapitre 9 n’existait que pour provoquer la mort de Kenji. Au début, Ayako et Shizuka devaient aller en France, puis j’ai revu mes prétentions à la baisse, déjà pour éviter un sacré cliché, et puis pour garder un semblant de cohérence. Même si l’école privée de Shizuka est super riche, ils n’auraient pas envoyé cette dernière en France juste à l’issue d’un concours. Même si France pays de la mode tout ça tout ça, c’était pas une bonne idée. Karen était sensée les suivre en douce, étant immensément riche, mais j’ai décidé de la laisser tranquille et de donner un peu de temps à Shizuka et Ayako pour construire leur relation de soeurs qu’elles n’ont jamais été.
- Le parcours professionnel d’Ayako aurait dû être tout autre. Jusqu’à mon voyage de 2013, elle aurait dû participer au doublage des OVA de Mahoromatic produites en 2009 et remplacer la voix de Minawa. Problème : au niveau timing ça ne collait pas du tout, et le voyage ainsi que les interviews que j’ai faites de professionels m’ont appris qu’on n’obtient pas un rôle dans un animé en claquant des doigts. Sans compter le temps de formation au minimum de six mois/un an d’une doubleuse… Ayako a échappé un peu à ça avec un traitement de faveur mais j’ai fait autre chose au final et ce n’était pas plus mal ! Ca aurait été néanmoins rigolo qu’elle travaille avec sa « génitrice » j’ai envie de dire 🙂
- Une scène où Ayako fait des annonces dans un department store ont été coupées au montage. C’est balot, je l’avais bien écrite en plus, mais elle était vraiment inutile et pas cohérente avec son parcours.
- Dans l’oeuvre finale pas mal de références clairement otakes, avec du « name dropping » (c’est à dire lâcher des noms comme ça) ont été retirées pour que le texte soit un peu plus neutre. Notez que tout n’et pas passé à la trappe non plus, j’ai laissé beaucoup de références directes et moins directes à la culture populaire japonaise, mais pas que. Un exemple ? Ayako aurait dû recevoir un livre pour son anniversaire qui s’appelle « La mélancolie de Haruhi Kawasumi ». Car Suzumiya était déjà pris par Ayako, et quel autre nom utiliser si ce n’est celui de celle qui a involontairement donné son prénom à mon héroine ?
- Au départ c’était Sho qui devait partir à l’étranger. Miho aurait pu ainsi devenir « plus gentille » vis à vis d’Ayako et devenir une amie. J’ai préféré faire l’inverse. La principale raison étant que j’avais trop de personnages féminins.
- Shizuka devait vivre seule à l’issue de la dispute du chapitre 8 avec ses parents. Elle aurait dû bosser comme vendeuse dans une boutique du Shibuya 109 ou en Maid dans un Maid Café, mais il en fut autrement, notamment parce qu’elle était trop jeune et que ce genre de situation aurait été bien trop galère à gérer, toujours dans un souci d’être cohérent. Cette expérience de vivre seule aurait dû permettre à Ayako de se rendre compte qu’il fallait qu’elle ait autant de conviction que Shizuka pour aller au bout de ses rêves. Puis comme Ayako et Shizuka se sont rapprochées, les faire cohabiter m’a paru tout naturel.
- Ayako devait assister par accident à la demande en mariage de Seiji à Miyuki, mais c’était prévu dans le chapitre 10, trop proche du décès de Kenji, ça aurait vraiment été le mauvais moment pour ça. A la base je voulais écrire une scène où Ayako serait simple spectatrice, mais je l’ai plus ou moins fait avec la discussion mère de Ayako-Shizuka dans le chapitre 8. C’est un peu contraignant parfois d’écrire à la première personne !
- Là ça devient fun : Ayako devait au début aller à l’université étudier le doublage, mais après discussions avec des pros, il m’est apparu très vite que c’était une super mauvaise idée, car Ayako avait déjà évolué dans un lycée « normal » alors qu’en fait pour aller dans ce genre d’universités il vaut mieux faire le genre de lycée spécialisé que les personnages de Sakurasou no pet na kanojo ont fait, pour ne citer qu’eux. Là-bas, elle aurait dû rencontrer un jeune animateur et la romance aurait eu lieu, mais c’était clairement trop similaire à Love Get Chu, un anime très moyen sur une jeune doubleuse, qui devient progressivement idol et qui se lie d’amitié et de romance avec un colloc animateur débutant. Bref, ils devaient faire connaissance et Ayako allait l’aider à faire un scénario d’anime sur lequel il travaillait, vu qu’elle aime écrire. Ce qui est assez drôle au final parce que j’avais imaginé tout ça avant de voir l’anime en question.
- Pour convaincre Ayako de se faire opérer, Karen devait lui montrer la tombe de la personne dont elle a assisté à l’accident au collège, avant de rencontrer Ayako. Ca ne collait malheureusement plus avec ce que j’avais développé entre temps, et sans compter que c’était carrément capilotracté. Shizuka de son côté allait l’amener sur une colline où elle allait souvent pour les sorties entre amoureux, et lui expliquer le paysage avant de conclure par « Et voilà, dommage que tu n’y voies plus rien, hein? » Au final ça aurait pu passer, mais j’ai préféré mettre ça de côté, c’était limite méchant.
- Et le meilleur pour la fin : Ayako aurait dû tomber enceinte 😀 Par qui, quoi, comment, je savais pas encore. Je sais, me connaissant beaucoup ont pensé que ça arriverait, mais j’ai tenté de les troller un peu.
Les références
J’ai laissé dans Blind Spot de nombreuses références à la culture populaire. Il y en a des évidentes, d’autres moins, parfois des citations, parfois des personnages, parfois des situations… J’avoue que j’ai pris un malin plaisir à les placer, ne serait-ce que parce que j’adore moi-même ce genre de clins d’oeil parfois appuyés à notre culture visuelle. Lucky Star par exemple m’a paru bien plus divertissant grâce à ça, alors que sinon je n’aurais pas apprécié plus que ça, je pense. Bien sûr cela peut passer au dessus de beaucoup de monde, surtout parmi la population pas otaque, mais pour tous ceux-là, si une ou deux personnes esquissent un large sourire en voyant un personnage familier le temps d’une scène, ou un détail qui leur fait penser à une autre série, alors j’aurai gagné mon pari. On m’a reproché que cela pouvait potentiellement nuire à l’immersion dans l’oeuvre, mais je ne trouve justement pas : cela renforce, bien au contraire, le fait que l’histoire se passe dans notre univers ou un univers proche du nôtre. Qui plus est, j’ai souvent (mais pas toujours) fait beaucoup d’efforts pour bien intégrer ces quelques clins d’oeil.
Les contreverses
Mis à part les contreverses personelles dont j’ai parlé plus haut, la sortie de Blind Spot ne s’est pas faite sans heurts de la part du public malgré des chouettes ventes et des tas de retours positifs. Je suis assez imperméable aux trolls et de toutes façons, en lançant Blind Spot comme un « light novel » je savais pertinemment que je me heurterais aux plus puristes d’entre vous. Ceux qui pensent qu’un manga écrit par un français ne devrait pas s’appeler un manga, c’est bien de vous dont je parle. J’estime que quand on aime suffisament un style de narration et un format, et qu’on tente de s’y coller, on peut facilement prétendre qu’il s’agit bien d’un manga, ou d’un light novel. Je suis de ceux qui considèrent qu’un ouvrage comme Pink Diary est un manga. Le style de dessin, la façon de raconter l’histoire, les personnages, les lieux, tout fait penser à un manga, alors pourquoi vouloir parler de manfra ou que sais-je encore ?
On m’a aussi reproché (ou questionné sur) le fait que l’histoire se passe au Japon. Pourquoi ne pas avoir décrit une héroïne et des évènements bien franchouillards, étant donné que je suis français ? La réponse est pourtant d’une simplicité déconcertante : parce que c’est moins drôle. Qui a envie de lire une histoire sur une lycéenne française malvoyante ? Dans un environnement connu ? Si le manga plaît, c’est parce qu’il dépeint une vie qui n’est pas la nôtre. L’exotisme de l’asie plaît, et pas forcément que le Japon. Comme je l’avais écrit, ma première réflexion en créant Blind Spot c’était « comment ferait un malvoyant au Japon. » Au. Japon. Ca veut bien dire ce que ça veut dire : le lieu était déjà une partie importante du concept.
Mais ce n’est pas fini ! J’ai aussi eu droit aux réflexions comme quoi un français n’était pas en droit de parler d’une vie qu’il n’a pas eu, d’un pays dont il n’est pas originaire… Sauf que beaucoup oublient que c’est une fiction. Une oeuvre de l’esprit. Ce qui arrive à Ayako est romancé : il y a des évènements de tous les jours, mais tout est écrit, tracé pour qu’il y ait un rythme et que le lecteur soit toujours intéressé et veuille lire la suite. Si on racontait la vie telle qu’elle est, ne serait-ce pas profondèment ennuyeux ? Qui veut savoir quand elle sort ses poubelles, ou quand elle va à la laverie faire son linge ? Un roman est fait pour s’évader, pour rêver, pour vivre une aventure autre que la sienne. C’est un divertissement. Et en tant qu’auteur, mon rôle était de me concentrer sur les points importants, pour rendre l’histoire de la vie d’Ayako dynamique et agréable à suivre.
Et puis, si on avait pas le droit d’écrire un livre sur une vie romancée du Japon, que dire de Kaoru Mori avec son Bride Stories, Emma ou Shirley ? Les auteurs de Noir, de Black Lagoon, de Spice and Wolf, de Gunslinger Girls, etc. n’ont donc pas le droit d’écrire sur autre chose que le Japon vu qu’ils sont de là-bas ? Que dire des productions occidentales se passant dans d’autres pays aussi ? Il y a un moment où il faut garder à l’esprit qu’une histoire reste une histoire : elle n’a pas à reflèter la réalité, car la réalité est bien souvent ennuyante. Si certains sont incapables de faire la distinction entre la vision romancée d’un pays et la réalité, c’est là que se situe le problème.
En bref, il faut juste se rappeler que tout cela n’est qu’un roman. 🙂
Le mot de la fin
Blind Spot est terminé. Ce billet aussi.
Cela représentait au départ un défi que je m’étais lancé, celui de faire une fiction qui ne soit pas basée sur un univers préétabli. Ecrire des fanfictions c’est amusant, mais créer des personnages de toutes pièces, des univers, des évènements, sans être cantonnés à l’existant, ça l’est encore plus.
Ecrire une histoire, c’est se soumettre à de nombreuses émotions. L’angoisse de la page blanche, la tristesse de devoir faire souffrir ses personnages, la fierté de les voir évoluer, le bonheur de leur faire partager de bons moments, le rire lorsqu’on les place dans des situations amusantes, les larmes lors de passages touchants, l’anticipation des retours de ses pré-lecteurs… Tout cela se mélange et s’entrechoque pour offrir une expérience de création inégalable. Une expérience qui, telle un ascenseur émotionnel, vous fait vibrer. Il m’est même arrivé plusieurs fois de rire de mes propres lignes de dialogue ou de verser une larme lors d’un passage émouvant que j’ai écrit deux jours plus tôt !
Ce sont ces émotions que j’ai essayé de partager avec vous à travers cette histoire. Des émotions, mais aussi un état d’esprit. Quand on est handicapé, et pas forcément que visuel, on a tendance à voir le monde d’une façon différente. Une façon déformée. On ne réagit pas de la même façon aux évènements, bons ou mauvais. On a tendance à se raccrocher à ce qui nous fait plaisir, à ce qui nous rend heureux, et à ne pas le lâcher. Ce que l’on ne peut pas atteindre, ce que l’on ne peut pas voir, ce que l’on ne peut pas écouter, ne fait que rendre plus beau ce que l’on a déjà. A quoi bon se lamenter sur ce que l’on ne pourra jamais faire, comme par exemple piloter un hélicoptère, alors que l’on peut écrire un livre, monter une association ou visiter Tokyo ? Même si une voie vous est inaccessible, il y a tellement d’autres embranchements, tellement d’autres possibilités ! Comme un visual novel aux choix infinis !
Rappelez-vous des pensées d’Ayako et de son état d’esprit positif tout au long de son histoire. Cela vous ouvrira peut-être de nouveaux horizons.
J’espère également que cette aventure, à la fois celle d’Ayako et à la fois la mienne, servira à d’autres gens souhaitant se lancer dans l’écriture. Ecrire, ce n’est pas si compliqué. Il y a des logiciels pour aider, mais il y a aussi tout simplement le bloc-notes de Windows, TextPad sur Mac, ou VI ou EMACS sur Linux (pas de jaloux.) Avec un peu de réflexion, beaucoup de relecture, beaucoup de mise en perspective, et un bon entourage, on peut sortir quelque chose de sa tête. Que cela soit publié ou non est une autre paire de manches, mais au moins arriver à une histoire complète, c’est quelque chose à la portée de tous ceux qui comme moi aiment écrire. Au final, écrire une histoire, ce n’est ni plsu ni moins que de participer à un jeu de rôle seul. Je ne suis pas une fille, mais à de maintes reprises j’ai essayé de m’imaginer comment Ayako ou les autres personnages réagiraient vis à vis des différents évènements.
Je souhaite que tout ceci vous donne des ailes, comme cela a été le cas pour les fanfictions en France, où j’ai, paraît-il, inspiré beaucoup de monde. Les résultats n’ont pas toujours été à la hauteur, mais qu’importe ! L’important n’est pas là, l’important c’est d’essayer !
Vivre à fond, sans regrets, c’est ce que vous dirait Ayako en ce moment !
N’hésitez pas à laisser vos impressions sur Blind Spot dans les commentaires : on est là pour spoiler donc ne vous gênez pas si vous avez des questions, j’y répondrai avec plaisir ! Dites ce qui vous a plu, quelle scène ou chapitre vous avez préféré, je veux tout savoir !