Dans la série « vieux motard que jamais », je vous présente aujourd’hui Katawa Shoujo.
Cet article est garanti sans gros spoiler. Promis juré.
Cela fait un moment que je devais le faire, mais ça y est, j’ai terminé ma route de Katawa Shoujo. Je dis « ma » route, car quand je fais un VN, a moins d’une exception particulière qui force le joueur à faire TOUTES les routes, comme CLANNAD, je ne fais qu’une seule route. Une seule et unique route et ce pour deux raisons : la première parce que je prends toujours en premier la fille qui me plaît le plus, mais aussi parce que cela me donnerait l’impression de ‘tromper’ ma nouvelle waifu 2D, celle avec qui je viens tout juste de passer de superbes moments. Et ça c’est juste hors de question.
Petite parenthèse sur ce qu’est un VN et Katawa Shoujo pour ceux qui ne seraient pas déjà au courant. Les connaisseurs peuvent donc totalement zapper le paragraphe qui va suivre :
Katawa Shoujo est un visual novel. Un visual novel est avant tout un jeu d’aventure composé majoritairement de texte. Un texte avec des dialogues, agrémenté d’images, de musiques et parfois de sons, voire même de courtes animations. C’est un livre multimedia somme toute, où contrairement à un livre, les autres sens sont mis à contribution via la musique pouvant changer selon les scènes, ou les images fixes qui vous sont présentées telles des illustrations changeant parfois à chaque ligne de texte. Mieux encore, une grande partie des visual novel possèdent des embranchements qui vous mènent vers d’autres parties de l’histoire, parfois vers de mauvaises fins si vous faites les mauvais choix. Jouer à un VN peut être très long, surtout si vous essayez de faire toutes les routes du jeu, vous obligeant à recommencer plusieurs fois certaines parties (heureusement certains systèmes permettent de passer les séquences déjà vues, par exemple.) Un VN est assez souvent utilisé pour raconter une histoire d’amour à choix multiples (et à filles multiples) mais pas toujours : certains, comme Higurashi no naku koro ni ou Umineko no naku koro ni racontent une histoire d’horreur. A vous de trouver le VN qui vous plait, et surtout avec les personnages et l’histoire qu’il vous faut. Parenthèse dans parenthèse : l’auteur de Higurashi sera présent à Epitanime cette année !
Maintenant je préviens ceux qui connaissent les visual novels ET Katawa Shoujo qu’ils peuvent également passer le chapitre qui va suivre. Vous avez vu comme cet article est un ‘novel’ à lui tout seul, hein ?
Katawa Shoujo est un VN développé par 4-Leaf Studios pendant de longues années. Partie d’un délire sur Internet et d’une illustration montrant des filles avec chacune un handicap différent, l’idée a rapidement évolué en un VN structuré crée par une équipe multi-nationale. Une démo (en fait le premier acte du jeu) avait vu le jour en 2009 (traduite en Français par Kawa-soft) mais la version complète n’a vu le jour qu’en janvier 2012. Utilisant le moteur Ren’py permettant de créer assez rapidement des VNs de qualité, le jeu est disponible gratuitement sur le site des créateurs, et sous licence Creative Commons, ce qui est assez rare pour être signalé. Le jeu complet n’est disponible qu’en anglais pour le moment, à vous d’aller taper Kawa-soft pour qu’ils s’activent à faire une version complète.
Pour ceux qui ne le savent pas déjà, je suis moi-même handicapé, avec 1/20ème à l’oeil gauche et rien à l’oeil droit et ce depuis ma naissance. Cela ne m’a pas empêché d’être dans une école normale ou de trouver un travail par exemple, même si beaucoup de mes semblables n’ont malheureusement pas cette chance, et sont souvent confinés dans un circuit fermé et etriqué dés leur plus jeune âge, allant d’école spécialisée en école spécialisée, sans réelle intégration avec le reste de la population.
C’est un peu dans ce genre d’école que va se dérouler l’histoire de Katawa Shoujo, puisque vous y incarnerez Hisao, un jeune garçon qui découvre qu’il est atteint d’arrythmie cardiaque au moment où il confesse son amour à une fille de son lycée. Ayant une crise au moment fatidique, il passe ensuite un bon moment à l’hopital où la fille en question cessera progressivement de lui rendre visite. Désespéré, il le sera encore plus quand les docteurs et ses parents l’enverront dans une école pour étudiants handicapés. Arraché à tout ce qu’il avait, école, famille, amis, il commence alors sa nouvelle vie à Yamaku, l’école en question.
Il va y découvrir de nombreux personnages (de gauche à droite sur l’image ci-dessus), tous atteints d’un handicap (en plus de quelques personnages secondaires) :
- Lilly est déléguée d’une autre classe et amie de Hanako, mais elle est surtout complètement aveugle de naissance et se déplace dans l’école avec sa canne blanche.
- Hanako est une jeune fille timide brûlée sur toute une partie du corps à la suite d’un incendie. Elle aime lire (et si j’étais méchant, je dirais que ça tombe bien car les livres ça brûle facilement.)
- Rin, comme vous pouvez le voir, n’a pas de bras, et fait tout avec ses pieds (avec une dextérité sans pareille.) Elle s’illustre particulièrement via la peinture.
- Shizune est sourde et muette et communique principalement à travers sa camarade de classe Misha qui interprète le langage des signes. Elle est également présidente du conseil des élèves.
- Et enfin Emi, la fille genki qui n’a plus de jambes au delà des genoux à cause d’un accident, et qui fait de la course à pied.
Hisao va donc rencontrer tout ce petit monde et se lier d’amitié, voir plus si affinités, selon les choix du joueur.
Le jeu en lui-même respire bon le travail léché, que ça soit dans les graphismes, les musiques ou même le texte : rien n’a été laissé au hasard et on a dû mal à se dire que c’est un doujin-game, un jeu amateur téléchargeable gratutiement.
L’autre aspect remarquable du titre, c’est son réalisme. Le traîtement des handicaps a bénéficié d’une attention toute particulière et cela se ressent, en ce qui me concerne, dans la route que j’ai emprunté : celle de Lilly.
Je ne suis certes pas aveugle complètement, mais j’ai partagé l’éducation de personnes aveugles dans mon enfance, lorsque l’on m’a trainé de force dans l’une de ces écoles spécialisées dont je parlais plus haut. On m’a appris le braille (dont il ne me reste plus rien aujourd’hui… Ah si, je me rappelle comment on fait un A.), mais aussi la locomotion (savoir se déplacer dans une ville, savoir comment traverser les passages cloutés sans se fier au feu qu’on ne peut pas voir…) Mes parents ont tout fait pour me mettre dans une école normale, parfois contre l’avis des professeurs et inspecteurs de l’éducation nationale. Le résultat : aujourd’hui je gagne bien plus qu’eux dans la vie et je suis propriétaire. On peut dire ce qu’on veut mais c’est pour moi quelque chose qui va au delà de la réussite sociale. Inconsciemment, j’avais envie de dire merde à tous ceux qui ont pronostiqué mon echec dans la vie à cause de mon handicap, et j’ai partiellement réussi, je pense.
C’est donc avec une certaine curiosité que j’ai abordé Katawa Shoujo. J’avais un peu peur au tout début à cause du mot Katawa, qui a une forte connotation péjorative au Japon et qui veut dire « imparfait », comme une voiture qui fonctionnerait avec trois roues sur quatre. C’est un mot banni des écrans de télévision, c’est vous dire à tel point cela peut choquer. On m’a néanmoins rassuré très vite, et je voulais ainsi voir quel traîtement ils avaient réservé à Lilly, comment les scénaristes avaient traité son handicap, et quel genre d’histoire d’amour elle allait vivre avec le héros à travers sa route.
Hé bien figurez-vous que j’ai été agréablement surpris par les détails laissés dans le texte pour rendre crédible le comportement de Lilly en tant que personne aveugle. J’y ai même découvert des choses dont je ne soupçonnais pas l’existence, comme le jeu d’echecs avec une dalle sur deux relevée, par exemple (l’un des principaux problèmes des personnes handicapées et qu’elles sont très mal informées, parfois même par leurs propres médecins. Il existe peut-être une solution pour ma vue, mais comment le savoir ?). Lilly ne s’est pas une seule fois comporté de façon omnisciente et certaines scènes prennent une ampleur phénoménale. On arrive réellement à ressentir qu’elle est aveugle et chacucn de ses mouvements revêt d’une importance toute particulière. Toucher les murs pour s’orienter, tater ses aliments avec sa fourchette pour en deviner la forme… Aucun doute : les développeurs ont fait leurs devoirs, et je suppose que les autres routes ont eu droit au même type d’attention. Vous ne vous en doutez peut-être pas mais quand on écrit a peu près sérieusement un récit, l’une des choses qui prend le plus de temps, c’est la recherche. Je m’y suis mis un long moment lorsque j’écrivais Blind Spot, a consulter les lignes de métro japonaises pour par exemple savoir par quelles gares Ayako devait passer, comment elle pouvait prendre le mauvais train et où cela l’amènerait, quel genre de boutiques on trouve dans tel quartiers… Bien que Katawa Shoujo se déroule dans un monde assez fictif et détaché (l’école n’est pas clairement localisée au Japon), la réalité rattrape la fiction quand il s’agit de dépeindre le handicap de chacune des protagonistes avec goût et sensibilité.
Mon premier réflexe en voyant Lilly, une ojou-sama (une de ces filles bourgeoises) à la ponytail luxuriante, ça a été de vouloir la protéger. Ouais, je suis comme ça moi, l’un de mes trucs à moi ce sont les filles vulnérables que j’ai envie de protéger. C’est là que Katawa Shoujo m’a surpris en premier. Plutôt que de montrer ces jeunes gens handicapés se battre pour survivre, on les observe plutôt à l’aise dans leur environnement et avec les autres. Lilly elle-même ne cherche pas un chevalier blanc en armure, ce qui est très rafraichissant. Hisao est tout aussi vulnérable qu’elle, si ce n’est plus, avec son problème de coeur. Ne souhaitant pas parcourir les autres routes, je me suis tout de même spoilé tout seul pour en savoir un peu plus, et les autres histoires sont toutes autant rafraichissantes que celle que j’ai vécue, même si celle de Lilly est probablement l’une des plus légères et sentimentales.
Même le sexe est traité avec une certaine justesse. Si les scènes hentai avec Lilly sont gentilles voire mignonnes, avec une Lilly embarassée qui tatônne pour guider Hisao, celles avec les autres personnages sont parfois troublantes, maladroites voire même désagréables, mais elles reflètent toujours comment ça peut se passer. On est loin des poncifs du hentai avec la fille qui crie et l’exaggération générale dans l’acte sexuel comme les japonais nous y ont habitués pour la majorité de leurs oeuvres H.
Mis à part ces rares scènes propres à chaque route (et même désactivables dans les options ! Je vous le déconseille néanmoins car vous manquerez quelques points intéressants du développement des personnages) tout le reste est traité avec la même justesse dont je parlais : on passe d’un Hisao desespéré par sa nouvelle vie à un Hisao qui découvre qu’il peut vivre avec son nouvel handicap, en prenant exemple sur les personnages qui l’entourent, voir à trouver une raison de vivre avec la fille qu’il aime. C’est toujours très délicat d’être handicapé après avoir passé une partie de sa vie 100% valide. J’ai tendance à remercier l’entité supérieure qui a décidé que je serais malvoyant dés ma naissance, car je ne sais pas ce que je loupe. Je ne peux pas observer un paysage et me dire, « Oh avant je voyais l’arbre là-bas » et être déçu et nostalgique à cause de ça.
C’est ce genre de sentiments que m’a procuré ma route avec Lilly, finie pas plus tard qu’hier soir. C’était drôle, mignon, plein de sens, et ça changeait de ce à quoi on devrait s’attendre avec une histoire de ce genre. Les routes des autres filles sont aussi pleines de surprises, loin des clichés sur les handicapés, sans que cela ne tombe dans une démonstration sur comment il faut traiter (ou pas) une personne invalide. Subtilité et puissance sont les maîtres mots de l’écriture de Katawa Shoujo. Je n’ai pas été secoué par l’histoire de Lilly, juste ému. Il y avait une juste balance entre la gestion de son handicap, de celui du héros, et une histoire d’amour simple entre adolescents. On est loin d’un VN de Key où on vous force parfois (souvent) à prendre les personnages en pitié en sortant les violons et mouchoirs et en ne faisant aucun cadeau en personnage. Lilly ne veut pas de votre pitié, ni les autres personnages d’ailleurs.
J’ai donc kiffé ma race comme on dit. La fin du premier acte signale en fait que vous vous engagez sur une route en particulier, vos choix suivants définiront si vous aurez une mauvaise fin, une bonne ou une neutre. A vrai dire je me suis un peu ennuyé lors du premier acte, peut-être parce que je n’arrivais pas à m’attacher aux autres personnages, ou que mon choix était déjà porté sur Lilly. Par contre, une fois le premier acte passé, la suite est suffisament passionnante (et pas parce qu’on sait qu’on va avoir une ou deux scènes H avant la fin) pour accrocher. Je ne sais pas ce qu’il en est des autres routes, mais les quelques retours que j’ai eus à la sortie du jeu en Janvier avaient été vraiment positifs.
Qu’est-ce qui a motivé mon choix sur Lilly, au juste ? Son statut d’ojou-sama ? Son handicap ? Sa ponytail ? Ce qui est sûr c’est que c’était frais de voir le handicap traité comme cela, alors que dans les animes ou manga, c’est bien trop souvent un outil pour rendre le personnage plus vulnérable et inspirer la pitié du lecteur/spectateur. C’est un peu le genre de cliché que j’ai essayé de casser avec Blind Spot sans toutefois y parvenir de façon satisfaisante à mon goût.
Si vous avez quelques heures de lecture à perdre, je vous invite à télécharger et installer le jeu, et à vous laisser porter par l’histoire et ses personnages. Peut-être que cela vous fera même voir le handicap sous un autre jour, même si il ne faut pas oublier que ça reste une oeuvre de fiction, et que les personnes handicapées aussi fortes que Rin, Lilly, Shizune, Misha, Emi ou Hanako ne sont pas légion. Beaucoup ne trouvent pas leur voie ou ont honte de leur état et refusent l’aide qu’on leur tend parce que cela les rend dépendants et vulnérables. Une personne handicapée peut avoir du mal à accepter cette aide. Une personne handicapée est avant tout un être humain, et a une certaine fierté qui va avec. Cette fierté mal placée qui vous fait refuser de l’aide, je la ressens parfois. C’est un combat contre soi-même pour ne pas céder à la facilité, parfois inconsciemment. Non seulement pour se prouver à soi-même qu’on peut être utile aux autres malgré notre problème, mais aussi pour prouver aux autres qu’on a de la ressource et qu’on compense notre handicap par nos autres sens comme on peut, ce qui rend nos réussites encore plus satisfaisantes que les réussites d’une personne valide. Quand je gagne une partie de jeu vidéo contre quelqu’un, ma satisfaction n’en est que plus grande.
Il paraît que l’être humain récupère environ 90% des informations sur ce qui l’entoure grâce à la vue. Les gens normaux ne s’en rendent peut-être pas compte, mais on doit souvent compenser par d’autres moyens comme le toucher, l’odorat ou l’ouie pour nous situer. Je ne vois pas de voiture mais je l’entends. Je ne vois pas la crotte de Shami mais je la sens. Je ne vois pas cette vitre mais j’entends, je sens que l’air change du côté ou elle se trouve quand je passe à côté. Je ne vois pas ce poteau à hauteur de ma cheville, mais ma canne blanche me le signale par un retour immédiat sur ma main qui la tient quand je m’en rapproche.
Ce genre de choses a été parfaitement décrit dans la route de Lilly, et en tant que personne handicapée, je ne trouve rien à en redire.
Lilly, tu es la première ojou-sama à rejoindre mon panthéon des héroines. Ton nom sera celui d’une de mes futures machines, sans aucun doute.
En guise de lecture complémentaire, je vous propose l’article d’Amo sur le même sujet ou presque 🙂